Les philologues de l’Université Jagellonne de Cracovie ont examiné une collection de trois mille manuscrits romans, conservés dans près de cinq cents volumes reliés. Grâce à leurs études, la culture européenne s’est enrichie de nouvelles œuvres inédites.

Une partie de la collection appartenant jadis aux rois de Prusse, appelée « le fonds Berlinka (Berlin Collection), a été déposée à la Bibliothèque Jagellonne. Elle comprend des milliers de textes anciens, parmi lesquels les manuscrits de Boccace et de Giordano Bruno ou les partitions originales de Mozart, Beethoven et Bach. Nous y trouvons aussi toute une collection de manuscrits en langues romanes que les scientifiques ont voulu analyser dans le cadre du projet intitulé « Histoire de la collection des manuscrits romans, dans le fonds berlinois, disponibles à la Bibliothèque Jagellonne de Cracovie ».

« C’était un territoire vierge qui n’avait pas du tout été étudié jusque-là », le professeur Piotr Tylus, directeur du projet, se souvient des débuts de ses recherches. Un groupe de seize chercheurs de l’Institut de philologie romane a mis sous la loupe 467 volumes reliés. Chacun de ces volumes contenait plusieurs manuscrits – parfois une douzaine, voire plusieurs dizaines. Au total, il s’agissait de près de 3 000 œuvres créées au cours de sept siècles (du XIIIe jusqu’aux débuts du XXe siècle) en cinq langues, à savoir en français, en italien, en espagnol, en catalan et en portugais. La nature des textes était souvent mal définie, car le catalogue de 1918 contenait des erreurs et les manuscrits n’étaient souvent ni titrés ni signés.

Identifier les manuscrits

De quoi se compose la collection? De quelles œuvres s’agit-il? Quand ont-elles été créées? Qui en étaient les auteurs? Comment s’appelait leur premier propriétaire? Et les suivants, qui étaient-ils? Comment les manuscrits se sont-ils trouvés dans la bibliothèque des rois de Prusse? S’agit-il d’originaux précieux, sur la base desquels de nouvelles éditions pourraient être produites, ou bien de copies de copies sans valeur textuelle particulière? Ce ne sont que quelques-unes des questions auxquelles les chercheurs ont voulu répondre.

« C’était un vrai travail de détective, dit Piotr Tylus. Dans de nombreux cas, nous avons étudié l’historique des documents en nous basant sur des données indirectes. Par exemple, un des documents comportait l’inscription selon laquelle le livre appartenait à Charles de Croÿ, Prince de Chimay. Nous avons découvert qu’avant de devenir prince de Chimay, Charles de Croÿ avait été comte de Chimay jusqu’en 1486. Cela signifiait donc que le manuscrit a été composé après 1486 ».

Les chercheurs ont non seulement étudié l’histoire de chaque manuscrit, mais ils ont également effectué des travaux textuels. « Il s’agissait d’identifier l’auteur et le texte. Et quand un texte donné était conservé dans divers manuscrits, nous le comparions avec ceux des autres collections. Souvent, nous allions à l’étranger, aux bibliothèques et aux archives ; nous avons utilisé diverses sources et bases de données. Chaque texte était un défi », dit Piotr Tylus.

Romans et recettes de cuisine

Chaque manuscrit a été méticuleusement décrit, en précisant son auteur, le titre, la date de sa composition, son contenu et les informations sur les copies existantes. Il a fallu trois ans pour examiner l’ensemble de la collection et pour constater qu’elle comprenait absolument tout: des textes littéraires et des livres de cuisine, des carnets de voyage et des textes juridiques, des œuvres philosophiques et religieuses, des traités scientifiques et des œuvres de vulgarisation, des chroniques et des comptes-rendus diplomatiques. Certains documents ont une grande valeur pour les bibliophiles, tel ce manuscrit du XVe siècle relié en cuir de Cordoue (cuir doré aves des motifs floraux en relief). C’est le quatrième exemple au monde d’une telle reliure. D’autres œuvres sont précieuses pour des raisons textuelles C’est le cas des exemplaires uniques au monde d’une œuvre donnée, par exemple l’histoire romancée des parents de Charlemagne ou la plus ancienne version italienne du roman racontant l’histoire d’Alexandre le Grand, datant du XIIIe siècle.

Les études des chercheurs de l’Université Jagellonne à Cracovie ont permis de dévoiler une partie de l’histoire de l’Europe, jusque-là inconnue. De plus, les descriptions des manuscrits constituent un excellent outil pour ceux qui souhaiteraient à l’avenir étudier des œuvres de leur choix.

Le projet présente enfin un dernier avantage. « Nous avons démontré qu’il était possible de réaliser ce type de recherches interdisciplinaires à Cracovie, des études ciblées sur la diversité thématique, ainsi que sur la diversité linguistique », souligne Piotr Tylus.

 

Faculté de lettres, Institut de philologie romane

ifr.filg.uj.edu.pl/en

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